Bouillon des machos ou soupe de cardan… La cuisine de testicules est toujours très populaire en Amérique du Sud, mais a quasiment disparu en France. A I’exception du Nord. Les précisions de la journaliste Blandine Vié, auteure du livre «Testicules».
Blandine Vié, pourquoi notre société qui ne pense souvent qu’au sexe ne mange quasiment plus de testicules ?
Au XIXe siècIe, il y avait les pauvres et les bourgeois. Les abats étaient plutôt réservés aux gens pauvres et la viande aux bourgeois, sauf le cinquième quartier (issues, carcasses, etc.). Les bourgeois en mangeaient aussi de temps en temps, mais pour « s’encanailler » dans les brasseries ou les cafés-concerts. On ne mangeait donc pas ces plats chez soi. On sortait en société pour déguster des suites de sanglier, des animelles en persillade ou des brochettes de rognons de coq béarnaise. Une tradition corporative a également rendu tous ces mets-là très appréciés par les forts des Halles. Dans les abattoirs, pour les chevillards et les hommes qui travaillaient au pavillon de la boucherie et de la triperie, c’était un peu le casse-croûte du matin…
Et ensuite ?
Les Halles ont été déplacées à Rungis, la diététique est tombée sur la France, l’époque a changé et les plats à base de testicules sont tombés en désuétude. C’était considéré cornme un truc de pauvres. Et puis, la manière de découper la viande a totalement évolué. Autrefois, les carcasses arrivaient entières chez les bouchers, qui les découpaient eux-mêmes. Maintenant, elles arrivent complètement dépouillées du cinquième quartier, c’est-à-dire des entrailles et de tout ce qui dépasse. Pour récupérer des testicules d’animaux, le boucher doit donc faire une démarche spéciale auprès des éleveurs. Et les règles sanitaires en la matière sont très strictes.
Où se cachent donc les mangeurs de couilles aujourd’hui ?
En France, la consommation de testicules est quasiment en voie de disparition. Mais il reste des gens intéressés par leur cuisine, autant pour le goût que pour la symbolique sexuelle des animelles de mouton ou des rognons blancs de coq. Des mets introuvables dans Ie commerce, mais qu’on peut commander à Rungis (si l’on est assez bien avec son boucher). Mais en Bolivie, ou l’on compte la plus forte concentration de gastronomes testiculaires, on fait Ia queue pour manger des criadas (valseuses en français NDLR) ou de la soupe de couilles de taureau, qu’on appelle là-bas le bouillon des machos ou le viagra créole. Les Boliviens disent que l’effet est immédiat…
Quels genres d’effet ?
Dans la médecine chinoise, on dit qu’en consommant certaines parties du corps d’un animal, on peut booster les siennes. Bref, manger des testicules « décuplerait » la virilité. C’est un plat réputé un peu partout dans le monde comme aphrodisiaque. Mais je crois que son action reste très symbolique. Ce qui n’empêche pas les Boliviens d’avoir trouvé un nouveau nom pour la soupe de couilles de taureau : la « soupe de cardan » (comme la pièce automobile – NDLR).
Et dans le reste du monde ?
En Grèce, où l’héritage mythologique veut qu’on offre les abats aux héros, on compte encore de nombreux gastronomes de balloches. Et au Maghreb, c’est carrément un plat honorifique. Dans un méchoui, par exemple, les testicules sont réservés aux personnes âgées et aux invités d’honneur. On retrouve également dans le Nord de la France et en Belgique une certaine tradition testiculaire, où l’on mange beaucoup de taurillons. En Serbie, s’est tenu aussi I’année dernière un festival de la cuisine testiculaire, où ont été récompensés des plats un peu potaches comme la pizza aux couilles de chameau et les bourses de porc sauce béchamel. Quant aux Etats-Unis, c’est surtout à la période de castration des troupeaux, qu’on voit fleurir dans certains Etats, des préparations à base d’abats grillés.
Et ça a quel goût, la cuisine de roupettes ?
Tout dépend comme c’est préparé, mais en général c’est très fin. Les animelles de mouton, par exemple, ressemblent beaucoup au ris de veau. Les gourmets adorent. Dans certaines boucheries Hallal, c’est toujours un carton.
« Testicules: Fêtes des paires. Les dessous d’une curiosité culinaire», Blandine Vié (Editions de I’ Epure).
Entretien_Eléonore Quesnel