Didier Porte, Jay MclnerneY, Lloyd Cole, Kacper Hamilton, les femmes cougars… Qui sont les fadas du vin, ces nouveaux jouisseurs qui revendiquent leur passion des bonnes bouteilles, Pour arrêter de boire n’importe quoi, n’importe comment ?
Robert Parker, le plus lnfluent critique de vins du monde, celui qui a fait assurer son nez pour un million de dollars et dont les notes étalées de un a cent’ sèment chaque année la terreur dans les vignobles français, n’a qu’à bien se tenir. Après des années de règne sans partage, Ie journaliste américain qui publie sa propre revue (The Wine Advocate, la bible des oenologues du monde entier) voit enfin son empire menacé par… un inconnu.
100 000 fans
Pire. Un inconnu qui ne ressemble à rien, parle comme Cauet avec une voix de fausset, n’a aucune élégance (il porte des pulls de camionneur à col zippé. . .), aucune grâce, aucun des attributs qui définissent habituellement les aigles du vin et de la gastronomie. Et cet inconnu, c’est Gary Vaynerchuk’ Gary quoi ? Oui, Gary Vaynerchuk, fils d’un émigré russe de Springfield (New Jersey), propriétaire d’un petit magasin de vins et spiritueux hérité de son père dont les chroniques oenologiques en vidéo réunissent chaque jour sur le Net près de cent mille spectateurs « Hello everybody ! », hurle le petit caviste devant ses bouteilles, qui a ainsi multiplié le chiffre d’affaires de sa boutique par dix en quelques années’ et s’est même payé le luxe d’être invité pour une dégustation de vin en direct lors du show d’Ellen Degeneres, I’une des émissions les plus regardées des Etats-Unis « Je voulais secouer l’univers du uin, explique Gary Vaynerchuk, montrer qu’on pouvait apprécier des grands crus et éduquer son Palais, sans être snob et suffisant »
Fadas du vin
Mission accomplie : sa Web TV (Wine Library TV) ressemble plus à un apéro bavard entre cavistes hystériques (il n’arrête pas de jacter comme une mouette) qu’à un congrès oenologique. Mais cela n’a pas empêché la presse américaine de e désigner comme le premier gourou du vin de l’ère Youtube. « Je vais venir en France dans deux mois pour
rencontrer les viticulteurs et faire de nouuelles vidéos » prévient Gary dont les avis sont désormais suivis par de nombreux amateurs de vin en France, comme I’oenologue Olivier Magny (lire en pages 78-79) Un simple buzz Internet ? Pas sûr. Pour Olivier Magny comme les vignerons de Crushpad Bordeaux qui proposent de faire son vin soi-même dans les meilleures parcelles de la région, l’humoriste Didier Porte qui traque les grands crus (et les bonnes affaires) au supermarché et les oublie dans ia cave d’un copain (lire pages 76-77),le chanteur Lloyd CoIe qui voue un culte quasi mystique au Chevalier-Montrachet, les femmes cougars qui assument leur préférence pour le rouge (avec modération) devant la série Cougar Town (lire page 80) et I’écrivain Jay Mclnerney dont la consommation de vin l’a guéri de ses excès, l’heure des fadas du vin a sonné.
Histoire et chimie
Les fadas du vin ? Une nouvelle générations de jouisseurs qü revendiquent leur passion du vin, pour arrêter de boire n’importe quoi, n’importe où et surtout n’importe comment. « Boire du vin, ce n’est pas se murger la gueule, s’asseoir à une table pour bien manger et bien boire, ça n’a rien à voir avec la défonce en boîte, affirme Olivier Magny. On y retrouue une culture, une histoire, de la chimie . . . Pour se rendre compte qu’à la fin, le produit est poétique ». « La dégustation, c’est ce qui a porté la compétition entre les vins, l’amélioration de la qualité. ce n’est pas le binge-drinking, ajoute Marie-Christine Tarby-Maire, la présidente de Vin et société, l’association qui défend l’image de la filière viticole en France. Le monde du vin adore la fête et la convivialité, mais pas au point de tomber raide par terre » « Pour les Américains, c’est à peine croyable d’imaginer que la France traite le vin comme un autre alcool, que vous soyez aussi rigides, s’étonne l’écrivain américain Jay Mclnerney dont les chroniques sur le vin sont des best-sellers aux Etats-Unis. Le puritanisme est en principe notre spécialité, pas la vôtre. »
7 péchés
Puritanisme ? En écho à un certain malaise français sur le vin, dont la culture est pourtant vénérée partout, à commencer -et ce n’est pas le moindre des paradoxes- dans les séries américaines, un autre FDV (fada du vin), le designer britannique Kacper Hamilton, a récemment réalisé une série de verres à vin intitulée Les Sept péchés capitctux (voir photos ci-contre et précédente). On y voit un verre à bout tranchant pour symboliser la colère, un autre à poignées multiples pour l’avarice, un autre suspendu par des chaînes (très chic) pour la luxure, un enième avec un fond de travers pour la gourmandise, un dernier en forme de carafon goutte à goutte pour la paresse … Bon, c’est un peu n’importe quoi, mais l’artiste n’en démord pas. Pour Kacper Hamilton : « Chacun de mes verres renferme un péché, qui est révélé par le rituel de la boisson. Les Sept verres mortels (7 Deadly Glasses) célèbrent
ainsi la passion et encouragent leurs utilisateurs à se comporter comme des pécheurs, de façon théâtrale. »
Je voulais secouer l’univrs du vin, montrer qu’on pouvait apprécier des grands crus et éduquer son palais, sans être snob et suffisant.
(Gary Vaynerchuk)
Bobo-bidon
Ce qui est un péché, aux yeux de certains, c’est surtout la façon dont le vin est devenu la variable d’ajustement des angoisses et des espoirs du moment. « Alors que le uin est ultra-sexy et fun, presque féminin, dans la culture anglo-saxonne, on voit en France s’opérer le mouvement inverse qui consiste à le ranger en trois catégories : pochtron, hyper-snob ou bobo-bidon, constate Olivier Magny. On ne retrouve plus assez la notion de plaisir, comme si c’était interdit. C’est très rare les gens qui se disent: » On va se retrouver et s’ouvrir une bonne bouteille. « » Plus fort : alors qu’il est considéré aux Etats-Unis comme un bon moyen de garder la ligne chez les femmes après 40 ans (lire notre article page 80), le vin devient «allégé et désalcoolisé» en France depuis que l’Inra de Narbonne a mis au point sa technique dite « d’osmose inversée » qui permet l’élimination de l’alcool par évaporation. Les vins So’Light se seraient ainsi déjà écoulés à plus de 100 000 unités.
Pas de vin à l’antenne
Enfin, si elle émet un jour, la chaîne Deo Vino consacrée aux vins en France, sera la seule autorisée par le CSA parce que justement elle ne montrera pas de vil à l’antenne (sa concurrente Edonys ayant dû s’exiler au Luxembourg). Alors que Teri Hatcher, Eva Longoria et toutes les Desesperate Housewives en boivent à longueur d’épisodes sur Canal Plus (bientôt la saison 7). Ou que Courteney Cox déguste régulièrement du « Rioja » (Cougar Town) sur Orange Ciné Happy… Mais pour combien de temps ? « Il est clair que Youtube va révolutionner l’idée qu’on se fait du vin à I’image », estime Marie-Christine Tarby-Maire. Sans le savoir, c’est toute la France qü est peut-être en train de se chercher un nouveau.. . Gary Vaynerchuk.
Olivier Malnuit
(avec Chloé Clor, Laure Michel, Sonia Desprez et Barbara lsraël)