Des journalistes proches de Bocuse et Raymond Oliver, des pages vins shootées par Francis Giacobetti et des petits déjeuners au cassoulet …. Grand Seigneur vous raconte comment LUI a inventé la presse gourmande d’aujourd’hui (enfin, surtout la bonne).
Rien à dire. Il savait s’y prendre pour fabriquer un magazine, le Daniel Filipacchi. Lui, son « magazine de l’homme moderne », parviendra à incarner son époque sans être un repère de suiveurs, de sa création en 63 jusqu’à la fin des années 70. (Après, le titre deviendra un torche-foutre comme les autres*.) Une rubrique ciné qui vit passer François Truffaut et Jean-Louis Bory, une bédé signée Gérard Lauzier, des dessins de Siné ou des jeux de mots imputables à Marcel « Série Noire » Duhamel ( « Marie ravie au lit » pour légender une pin-up, ce genre) et un certain Jacques « J’aime les filles » Lanzmann à la rédaction en chef… Comme casting, on a connu pire. La particularité de ce Playboy à la française ? Le lecteur a droit, en plus des pin-ups et des longues interviews « politiques » habituelles, à une rubrique gastronomique exceptionnelle. Le serial-noceur Jacques-Louis Delpal, surtout connu pour ses best-sellers Ultra-Guide de Paris la Nuit, s’occupe des vins. De beaux shootings mettent en scène grands chefs et viticulteurs proches de la rédaction. Pris en photos par 1e photographe des pin-ups du mag, Francis Giacobetti, ils viennent surtout pour se fendre la poire avec le chroniqueur gastronomique du mag’, un certain « Cherche-Midi », connu pour le ton canaille de ses critiques et des recettes publiées dans son Manuel du parfait maître queux. Pierre Rival : « Mon père Ned Rival avait rejoint le magazine au début des années 60, peu après sa création, après avoir bossé pour Adam, l’ancêtre de Lui. C’ était un passionné de bouffe depuis toujours, on vient d’une famille béarnaise où la gastronomie a toujours tenu une place importante. Il avait la plus grande collection de livres de cuisine de Paris, par exemple, une collection qu’il vendra au début des années 70, il était ami avec le grand chef Raymond Oliver, et pouvait recevoir Paul Bocuse à la maison, et lui préparer à dîner ; celui-ci me rappellera bien plus tard avoir été reçu chez nous – on occupait alors une partie d’un hôtel particulier, rue de Grenelle et avoir été servi par des extras en gants blancs. Chose dont je n’ai aucun souvenir ! »
« Dans Lui, mon père signait « Cherche-Midi » ce genre de pseudo était courant chez les chroniqueurs gastronomie, avec des gens comme Courtine etc. (D’ailleurs à l’époque, les anciens collaborateurs – et Courtine, qui était au Monde, en faisait partie ne pouvaient pas écrire ailleurs que dans les rubriques Gastronomie ou Théâtre. Fermons la parenthèse.) Filipacchi connaissait mon père en partie grâce à sa biographie de Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière (l’inventeur du journalisme culinaire à la française – NDLR), mais également pour d’autres faits d’armes de ses activités dans les « press relations » parisiennes : il avait coordonné un livre de cuisine, attribué à Françoise Bernard mais commandité par Unilever, censé encourager les ménagères à se servir dauantage de leur margarine de la marque Astra… Il s’est retrouvé à bosser en binôme auec Topor, deux bons vivants, dès son arrivée à Lui. Les souvenirs que j’ai de lui en train de tester les recettes pour son livre Lui Cuisine (qui sortira en 1971 – NDLR) sont joyeux. C’était une ambiance à la Claude Sautet, auec des mecs un peu machos, et un peu alcoolos et fragiles au fond, qui se faisaient la cuisine entre eux, clope au bec et dans la bonne humeur. D’ailleurs les trois parties de Lui Cuisine forment une autobiographie : « L’Ami Parfait » et ses plats à la fortune d’un pot-au-feu » racontent ses soirées entre potes ; « L’Amant délicat » et tous ses cocktails et amuse-gueules, les soirées chez sa maîtresse ; et « Le Mari acceptable » et ses grillades, son futur mariage avec elle. » Mes plus beaux souvenirs auec lui ? Quand on traversait la France, pour sa chronique. On se rendait à Biarritz par exemple, et en arrivant au Café de Paris le matin, Pierre Laporte nous proposait un cassoulet pour le breakfast… Ou quand on préparait un gigot d’agneau ensemble ».
*Avant d’être relancé en 2013 par Frédéric Beigbeder.
A lire : Lui Cuisine de Ned Rival et Roland Topor, réédité par les Editions de l’Epure.
Cet article a été publié dans un précédent numéro de Grand Seigneur.
Texte : Laurence Remila
Retrouvez toutes les actus sur le journalisme, l’apéro et la cuisine dans Grand Seigneur # 6, actuellement en kiosques.