CHEVREAU AU MIMOSA ET VACHERIN AU GERANIUM… POUR LA PLUS BANKABLE DES CHEFS FRANCAISES, LES FLEURS POURRAIENT CREER UNE VRAIE REVOLUTION GOURMANDE ET HEALTHY DANS L’ASSIETTE. MAIS CE N’EST PAS UNE RAISON POUR ARRÊTER LE NUTELLA !
Sur le gigantesque piano de cuisson Molteni du resto de l’avenue Victor Hugo à Valence (Drôme), Anne-Sophie Pic, l’héritière malgré elle d’une des plus grands familles de la cuisine française (son père Jacques fut l’équivalent de Bocuse, ndlr), rêve d’une cuisine si « éphémère » qu’elle frapperait l’imaginaire comme le parfum d’un(e) inconnu(e) croisé(e) dans la rue. « C’est une cuisine de l’émotion qui passe », précise la chef triple étoilée au Michelin, qui exploite les fleurs en cuisine (sous forme d’infusions, huiles, beurres aromatisés, etc.) comme d’incroyables surboosters de goûts naturels, mais en version terroir haute couture (et à 170 euros le menu, tout de même). Ne dîtes pas à cette grande fan de Nutella (dont elle fut longtemps privée, ndlr) et de saucisses de Morteau que ses remixes de pétales pourraient bien aider les Français à tourner la page d’une alimentation trop salée, elle ne voit pour l’instant dans les fleurs que de nouvelles « fragrances culinaires ». Le nouvel accord olfactif des épices qu’elle s’efforce justement de développer… Mais au fond, tout le monde y pense déjà un peu pour elle. Car avec un tel nouveau Guerlain des plats en sauce, même le gibier bat la Chamade ! Aromatisé à la fleur de mimosa, son chevreau au génépi noir, cire d’abeille et miel du maquis corse, est par exemple une petite merveille printanière qui laisse le souffle d’une ondée. Ne loupez pas non plus son Vacherin à la crème de géranium rosat. Ou son rouget au bouillon de safran… Et si, d’aventure, vous ne compreniez pas tout aux bavardages aromatiques de la grande dame, un conseil que nous avaient livré l’un de ses confrères étoilés (Jacques Barnachon de L’Étang du Moulin à Bonnétage) et son chef Laurent Gagliardi (Jacques Alexandre à Morteau) pour faire décoller l’un de leurs plats fétiches (le Risotto à la saucisse de Morteau, justement) : saupoudrer quelques pincées de violette au moment de servir. C’est tout…
_ Anne-Sophie Pic, pourquoi cuisinez-vous avec des fleurs ?
_ A.S.P. : Oh, je vous rassure, je ne fais pas manger que des fleurs à mes clients (rires) ! C’est juste que les fleurs permettent une cuisine gourmande d’une très grande complexité aromatique. Pour moi, ce sont d’abord la richesse et l’amplitude des goûts qui for-ment l’expression la plus subtile de la gourmandise. Dans une assiette, ce qui est renversant, c’est la magie de l’instant, la quintessence du goût, un peu comme lorsqu’on porte une fleur à ses narines pour la première fois. Alors bien sûr, c’est une cuisine de l’éphémère, une émotion qui passe, un instant fugace. Mais quel voyage ! Et toute la difficulté consiste justement à faire du gourmand avec des choses qui ne le sont pas forcément. Ou, disons, qui sont plus difficiles à percevoir par les gens…
_ C’est-à-dire ?
Avec des fleurs, on peut par exemple compenser la richesse des matières grasses par celle du développement aromatique, avec des infusions sans beurre ni huile d’olive. Parce qu’il faut équilibrer les goûts de façon à ce que les papilles soient toujours animées pendant la dégustation. On peut ainsi préférer la douceur printanière du mimosa à l’acidité de l’oseille dans la préparation d’un chevreau de Pâques, remplacer la vinaigrette par une huile de fleur de sureau ou de fenouil, développer de petites sauces légères avec des infusions de fleurs de crocus ou de fleurs de safran, ou même tout simplement relever une salade, une viande ou un fromage en les saupoudrant de fleurs séchées de coriandre, de ciboulette, etc.
Entretien : Ursula Halimi (avec Olivier Malnuit). Photo : Thomas Laisné
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