T.B. : L’époque a changé. Les gens ont moins d’argent, plus d’exigence, une meilleure culture des produits et de bien plus fortes connaissances en cuisine. Aujourd’hui, un bon resto, c’est 30 ou 40 euros par personne, pas plus. Et ils sont déjà bien trop nombreux à manger sur la bête. Le public est sur-sollicité, mobile, infidèle. Mais les frais, eux, restent les mêmes. Du coup, ça va craquer.
Alors pourquoi s’ouvre-t-il toujours autant de nouveaux restos, caves à manger, bar à tapas, cantines à burgers, etc ?
E.R. : Pour beaucoup de gens, surtout ceux qui n’y connaissent pas grand chose, la bouffe est le nouveau fantasme à couillons. On se choisit un thème, on appelle des graphistes, des décorateurs, on agite les réseaux sociaux, on bosse son dossier de presse. Mais on oublie au passage que le restaurant, c’est une économie, qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde. Et que beaucoup vont morfler…
Vous croyez que la fièvre du « foodbusiness » va retomber ? Qu’on va revenir comme à la fin des années 80 ?
E.R. : Non ! La gastronomie ne sera plus jamais la ringarde qu’elle était, mais elle va peut-être arrêter d’être la fofollasse, la fifille gâtée, la coconne du moment, la énième créatrice de bar à jus ou de boutiques à petits choux… C’est quand on passe un peu trop vite du précieux au ridicule, du bon ton au bon filon, du menu dégustation au menu unique que l’illusion ne paie plus. Quand la bouffe aura définitivement « boboïsé » certains quartiers, qu’on ne pourra plus boire un café normal avec du sucre en terrasse parce qu’il n’y aura que des arabicas grands crus partout, alors ne survivront que les vrais commerçants, les artisans sincères. Et peut-être même les derniers rades pourris, s’il en reste, qui auront su préserver la médiocrité de leur histoire.
Margaux Grosman, vous publiez un blog de cuisine très consulté (À ma sauce.com), vous venez de signer la carte d’un nouveau bar à jus… Vous êtes d’accord avec cette analyse ?
M.G. : Non, franchement c’est un discours de vieux cons. Où en serait aujourd’hui les rues du Nil et Lauriston sans le buzz autour des chefs Grégory Marchand (
Frenchie, Frenchie to go) et
Akrame Benalal (l’Atelier Vivanda, Brut, etc)? Pareil pour la rue Saint-Dominique avec le chef
Christian Constant (Les cocottes). Je crois qu’il y a du bon quand le food-business pète les plombs, qu’on est loin d’être allé au bout de cette « foodisation » des centre-villes, que ça leur donne un nouveau souffle, même quand ça vire un peu à la foire. Et c’est pareil dans la critique gastronomique avec les blogs. Si j’ai créé
Amasauce.com, c’est parce que j’en avais marre qu’on me dise comment je devais écrire, alors que j’ai une thèse de journalisme culinaire. Je voulais que les jeunes aient un avis différent et plus frais sur la cuisine. Et contrairement à bien des critiques de la presse, je cuisine, je sais de
quoi je parle…