La bavette, l’araignée, la poire, le faux-filet, le rumsteck, l’entrecôte, le plat de côtes. Tout ce que vous aimez et savourez ailleurs est encore meilleur chez Hugo Desnoyers. C’est comme ça depuis 20 ans. Depuis qu’il s’est fait connaître par les plus grands chefs (Manuel Martinez, Bernard Pacaud, etc) avec son veau de lait de Corrèze.
_ Jacques Weber, quelles sont les viandes que vous aimez le plus chez votre boucher Hugo Desnoyers ?
_ Alors le problème ici, c’est que toutes les viandes sont divines ! La bavette, l’araignée, la poire, le faux-filet, le rumsteck, l’entrecôte, le plat de côtes. Tout ce que vous aimez et savourez ailleurs est encore meilleur chez Hugo Desnoyers. C’est comme ça depuis 20 ans. Depuis qu’il s’est fait connaître par les plus grands chefs (Manuel Martinez, Bernard Pacaud, etc) avec son veau de lait de Corrèze. J’adore quand il me le prépare en tartare avec une petite couche de caviar sur le dessus, c’est incroyable. Mais le vrai génie du boucher, c’est aussi son talent d’interprète. Quand Hugo attaque un morceau, il est comme un pianiste : tout en retenue et en concentration, le corps en avant et le bras guidé par l’épaule, pour une coupe franche, glaciale, magistrale…
_ Vous qui avez joué tant de fois (plus de 500 représentations) Cyrano de Bergerac. Comment Christian et Cyrano auraient tenté de séduire Roxane si elle avait été bouchère ?
_ Peut-être avec quelques vers sur l’aiguillette, le gîte, l’onglet, des mots choisis sur le grenadin de veau, les rôtis… Qui sait ? Mais je ne suis pas persuadé que parler boulot avec une dame qu’on veut séduire soit forcément la meilleure approche (rires) ! Disons qu’ils auraient habilement marié le monde naturel des viandes, des bêtes, celui de la poésie et la grâce du métier.
_ Dans Cyrano, la nourriture occupe une place essentielle… Edmond Rostand aurait-il pu ajouter quelques tirades sur la viande et les artisans bouchers?
_ Absolument ! C’était d’ailleurs un auteur d’une grande sensualité malgré ses nombreuses dépressions… Un authentique homme de bouche avec un verbe, des alexandrins, des adjectifs d’une gourmandise intense. Au fond, lorsqu’on joue Cyrano, on a toujours un peu l’impression de savourer une Côte de Bœuf ou du Paleron. Comme lorsqu’il fait dire, par exemple, à Ragueneau : « Vous avez mal placé la fente de ces miches / Au milieu la césure, entre les hémistiches ! / Et toi, sur cette broche interminable, toi / Le modeste poulet et la dinde superbe / Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe / Alternait les grands vers avec les plus petits / Et fais tourner au feu des strophes de rôtis… » Incroyable, non, que ce personnage de rôtisseur-pâtissier-poète occupe tout de même le centre de la pièce ! Il paie ses places de spectacle en parts de flancs, les rimes de ses amis en gâteaux, offre des parts de pâté aux enfants et va même jusqu’à composer des vers dans ses recettes comme les célèbres Tartelettes Amandines*… En fait, Cyrano n’est pas juste un texte sur la réconciliation de l’esprit et la beauté, c’est aussi une comédie sur les émotions gourmandes, la mémoire des saveurs.
_ Vous-même, enfant, n’avez pas grandi très loin d’une boucherie…
_ Presque ! Mon grand-père s’occupait de transports de bestiaux, il était l’un des grands… Je crois même qu’il était le grand patron des bestiaux des Halles de la Villette. A l’époque, je devais avoir huit ans quand il m’emmenait dans les abattoirs. On tuait encore les bêtes au poinçon et à la masse. J’avoue que j’étais un peu terrorisé, mais j’étais quand même très fier de lui. Et puis, j’adorais l’ambiance des Halles, les bistrots alentours, l’argot des bouchers, l’apéro…
_ Quel est votre plus beau souvenir de viandes pendant les fêtes ?
_ Cela va peut-être vous surprendre, mais je ne suis pas un grand fan de dinde ! Je trouve ça nul, fade, pas très franc du collier. Par contre, ce qui me chavire, ce qui me chamboule, ce qui me bouleverse jusqu’au bout de la nuit, qu’on soit à Noël ou la Toussaint, c’est la Côte de Bœuf ! Ah, la Côte de Bœuf… Les sucs, la croûte, le gros sel, le jus, le persillé, la puissance sous la dent ! C’est bien simple : rien qu’à voir une pince à viandes ou un four allumé, j’en salive déjà. J’ai en mémoire une image, une sensation, un vertige d’une précision absolue : celle d’une Côte de Bœuf pour 3 personnes (1 Kilo) dans un restaurant de Bordeaux qui s’appelle La Tupina, rue Porte de la Monnaie ( « la rue Gourmande »). Avec un bon Saint-Julien ou un Saint-Emilion Grand-Cru, je crois que c’était l’un des plus beaux festins de ma vie.
_ Et les viandes blanches ?
_ Pas plus que ça (rires). Moi, je suis un viandard ! J’aime la poésie et la chaleur des viandes rouges, j’aime la flamboyance des plats simples : les grillades, les rôtis mais aussi les grands pot-au-feu. Avec celui de ma femme, ses légumes et la viande taillés en dés, l’écume de raifort et la sauce au persil, jaune d’œuf et huile d’olives, on touche au sublime.
_ Colette disait (dans son roman Le Fanal Bleu) : « Un boucher coupant, tranchant, élaguant, ficelant, vaut un danseur, un mime. » C’est le cas d’Hugo Desnoyers ?
_ Et comment ! C’est le Noureev de la viande ce garçon. Quand on voit la passion qu’il met dans ses gestes, c’est digne d’un ballet. Je pourrais passer des heures à le regarder parer, dénerver, dégraisser, ficeler, etc… Cela me fascine. Et puis, il a une façon bien à lui de travailler avec ses éleveurs, de les conseiller dans l’alimentation des bêtes, d’accueillir les clients dans ses boucheries-restaurants qui me rappelle la phrase du philosophe : « la gentillesse est la noblesse de l’intelligence ». C’est un grand artiste, authentique et grandiose comme sa viande.
_ On dit souvent que les commerces de bouche sont comme des théatres avec une scène, des acteurs, des clients en guise de spectateurs… Quel type de salle serait la boucherie d’Hugo Desnoyers ?
_ Clairement un théatre vivant ! Ce n’est pas si courant qu’une boucherie propose comme celle-là d’ouvrir sa table et qu’elle soit composée de vrais billots de bouchers. Ici, les clients lancent « Personnel » à la cantonade à chaque fois que quelqu’un donne une pièce pour le service. Ca hurle ! Le patron a ses humeurs, c’est toute une ambiance. Les idées bouillonnent, fusent, on se marre… Et puis, c’est une vraie table d’hôte avec des gens de tous horizons qui se mélangent et parlent de bouffe. C’est très fédérateur la bouffe, c’est ça qui est beau ! Une bonne viande, on se la partage, on en parle, on est content. A fédérer tant de communautés différentes, c’est même un théatre bien tenu.
_ Vous en parlez comme si vous alliez y donner une représentation…
_ Et bien, figurez-vous que c’est un peu dans nos projets. Avec Hugo Desnoyers, on va monter une pièce dans sa boucherie avec les plus beaux textes sur la viande et la cuisine. Edmond Rostand, bien sûr. Mais aussi Rabelais, Dumas, Musset, Balzac, Proust, etc… On y travaille déjà avec quelques amis du théatre. Bientôt à l’affiche !
_ Si vous deviez jouer un boucher au cinéma, quel rôle aimeriez-vous reprendre ?
_ Sans hésitation, le boucher de Claude Chabrol (1970), même si c’est un meurtrier. Ca, c’est un grand film. Et quel metteur en scène tout de même ! On dit souvent, à juste titre, qu’il choisissait ses lieux de tournage selon la cuisine du coin. Vous imaginez les repas dans le Périgord (la région où a été tournée Le Boucher) avec les magrets, les confits, les truffes, les noix, les cèpes. Un jour, j’aimerais bien aussi jouer un restaurateur comme Gabin dans Voici le temps des assassins de Julien Duvivier (1956). Dans ce film, il est carrément incroyable.
*« Battez, pour qu’ils soient mousseux / Quelques œufs / Incorporez à leur mousse / Un jus de cédrat choisi / Versez-y / Un bon lait d’amande douce… »
Entretien : Julio Rémila
Desnoyer et Co, 28 rue du Docteur Blanche, Paris 16ème. Tel : 01 46 47 83 00. Ouvert tous les jours jusqu’à 19h30, sauf le dimanche.
Philarmonia, la série événement de Rose Brandford-Griffith (Clem) avec Jacques Weber, Tom Novembre et Marie-Sophie Ferdane sera diffusée sur France 2 à partir du 23 Janvier 2019.
Tartuffe avec Jacques Weber et Pierre Arditi sera également diffusé sur France 5 le 12 Janvier 2019 dans le cadre du Passage des arts, l’émission présentée par Claire Chazal.