Peu de gens le savent, mais l’auteur du succès planétaire «Bright Lights, Big City» (1984) est aussi un écrivain reconnu sur le vin aux Etats-Unis. Une interview exclusive avec Jay Mclnerney sur les grands crus et la façon dont ils l’ont guéri.
Jay Mclnerney, comment avez-vous commencé à vous intéresser au vin ?
Quand j’écrivais mon premler roman, Bright Lights, Big City, je travaillais dans un petlt magasin de vin. La plupart des clients étaient des alcooliques qui venaient acheter du vin bon marché pour se saouler. Mais le propriétaire était un homme très sophistiqué qui espérait que son magasin serait un jour découvert par des gens plus riches. Il avait donc un ravon de bons vins et une petite bibliothèque de livres sur le vin. Quand il n’y avait personne dans le magasin, je les lisais parfois. Et chaque soir, je rapportais une bouteille de vin différente à la maison pour goûter. J’ai commencé avec des trucs très bon marché. C’est bien au début, après on monte graduellement en qualité.
Et alors ?
J’ai ainsi découvert que j’aimais vraiment le vin. Chaque vin a une histoire, beaucoup plus que le whisky ou la vodka, que je buvais beaucoup à l’époque. Il y a le lieu dont il vient, les gens qui l’ont fabriqué et dans le cas des vins français : I’histoire de la région. Certains domaines sont vieux de plusieurs centaines d’années. J’ai découvert que si l’on voulait, le vin pouvait donner à réfléchir à des choses passionnantes. Et puis mon roman a été publié et il a connu un succès phénoménal. J’avais donc soudain de l’argent à dépenser en grands vins. Et il se trouve qu’un très grand cru venait de sortir : le Bordeaux 82. C’était le moment idéal pour devenir amateur de vin. Le Bordeaux 82 est aujourd’hui légendaire. Et j’en possède encore des bouteilles achetées à l’époque. Le vin est pour moi une sorte de hobby qui a dépassé les bornes (rires).
Est-ce que ça a changé votre rapport à l’alcool ?
J’ai toujours été hédoniste. Le vin possède ce plaisir hédoniste associé à toute boisson alcoolisée et je ne l’aimerais pas sans cela. Mais ça va beaucoup plus loin : j’aime les histoires qu’il raconte. Dans le temps, je buvais beaucoup de vodka. On alternait cocaïne, vodka, cocaïne, vodka etc. Le vin a aussi été une façon de contrôler mon hédonisme, en m’apprenant à modérer ma consommation d’alcool. Et puis j’ai découvert avec lui que chaque saveur peut être associée à une autre. Et j’ai égalemenl commencé à m’intéresser à la cuisine.
Comment avez-vous commencé à écrire sur le vin ?
J’ai développé mes connaissances avec le temps. Et un jour, une amie, qui était éditrice chez Condé Nast, m’a proposé d’écrire sur le vin dans le journal House and Garden. Je lui ai opposé que je n’étais pas un vrai spécialiste et elle a répon du : « Tu es un bon écrivain. Tout ce que tu auras à faire, c’est écrire sur ce que tu aimes, ou n’aimes pas, et pourquoi, sur tes impressions…». C’est vrai qu’à l’époque, la littérature et le journalisme autour du vin étaient de très mauvaise qualité d’un point de vue strictement littéraire. J’ai commencé sans grande conviction parce que je trouvais ça bizarre. Je pensais le faire pour six mois mais je me suis pris au jeu et ça a duré dix ans. J’ai beaucoup voyagé pour goûtter des vins un peu partout, en ltalie, en Espagne, au Chili…
Avez.vous des préférences ?
Les vins français. Les Bordeaux, et les Bourgognes. Il y a encore un savoir-faire ici qui n’existe pas ailleurs. D’ailleurs les cépages français se sont exportés dans le monde entier : le Cabernet, le Merlot, etc. Parce qu’ici, ça remonte à beaucoup plus longtemps que nulle part ailleurs. C’était le clergé qui faisait le vin, des moines qui ont appris en observant : un endroit où la neige fond plus vite sur un côteau, dont on déduit des règles d’ensoleillement … Ces petites choses additionnées depuis tout ce temps donnent une expérience irremplaçable.
Mais il y a quand même de bons vins ailleurs !
Oui, très bons. Et j’en ai goûté, mais ce n’est quand même pas la même chose.
ll y a aujourd’hui une avalanche de produits culturels autour du vin: mangas, émissions sur le net etc. Est-ce que vous suivez tout ça ?
Oui, un peu. Mais vous savez, je crois que j’ai contribué à la popularisation du vin avec mes chroniques ! Je comparais les vins à des top-modèles ou à des chansons de rock, les gens n’en revenaient pas ils n’avaient pas imaginé qu’on pouvait en parler ainsi. Ça dédramatisait un peu.
Je comparais les vins à des top-modèles ou à des chansons de rock, les gens n’en revenaient pas ils n’avaient pas imaginé qu’on pouvait en parler ainsi.
Comment est né votre premier livre sur le vin ?
Au bout de quelques années, 1’éditrice a proposé de compiler mes chroniques dans un livre. et on 1’a publié. Le succès et les ventes ont été extraordinaires. On ne s’attendait pas à ça et c’est pour ça que je pense que ça a fait avancer les choses : je ne suis pas sûr qu’il y a eu beaucoup de précédents dans le genre de ce livre aux Etats-Unis.
Pourquoi le livre n’est-il pas paru en France ?
Je ne voulais pas insister sur cet aspect de mon image ici (rires). Mais lorsque Bright Lights, Big City est paru, j’ai dû beaucoup me battre parce que les gens m’assimilaient trop à mon personnage : un cocaïnomane à la dérive. C’était autobiographique, mais c’était quand même de la fiction ! Je ne voulais pas en rajouter. Peut-être que cette période est terminée. Et qu’il est temps de publier ces textes ici ! Mais je ne suis pas sûr que les Français aient envie qu’un Américain leur parle de vin (rires) ! Le livre a pourtant été un succès en Angleterre, en Italie, en Espagne, etc.
Venez-vous souvent en France pour le vin ?
Bien sûr ! Je profite par exemple de ma présence pour un festivai littéraire (America, à Vincennes, ndlr) pour passer une journée sur un domaine d’excellents vins de la Loire. Mais je viens aussi souvent simplement pour le plaisir.
Vous parlez français ?
Mal. J’ai appris à l’école, je comprends assez bien. Mais parfois, je suis coincé dans le Beaujolais avec des producteurs de vin qui ne parlent pas anglais, j’arrive à me débrouiller quand même.
Récemment, vous êtes allé à El Bulli, le grand restaurant catalan de Ferran Adrià qui est considéré comme l’un des meilleurs chefs du monde. Qu’est-ce que vous avez découvert comme vins ?
Le menu qu’ils m’ont servi était très compliqué, il y avait 35 plats. En théorie, cela aurait été intéressant d’assortir chaque met avec un vin. Mais je ne connaissais pas les plats qu’on allait me servir et i1 y avait parfois plusieurs saveurs dans une même assiette. Dans ce cas, le champagne est la meilleure option. J’ai bu du Jacques Selosse, un petit producteur, mais un grand champagne. Et un peu d’un excellent Cava, avant le repas. J’ai dit au sommelier « S’il y a des plats qui vont bien auec du vin rouge, apportez m’en. » Et il m’a servi un Volnay de Bourgogne à un moment, mais c’est tout.
Vous avez recommencé à écrire sur le vin ?
Oui, il y a peu, j’ai repris une chronique dans le Wall Street Joumal. J’avais arrêté d’écrire sur le vin depuis deux ans et demi. Mais bon, ils m’ont offert beaucoup d’argent. Et c’est une chose que j’aime faire. Donc, j’ai accepté.
Quel est I’esprit de cette chronique ?
Toujours de rendre le vin accessible au plus grand nombre. Mais je n’écris que sur les meilleurs vins. J’ai passé l’âge de m’intéresser aux petits vins bon marché. Cette chronique ne s’adresse pas vraiment aux étudiants qui veulent savoir quel mauvais vin est moins mauvais qu’un autre (rires).
Et où trouvez-vous les meilleurs vins ?
Au fil des ans, on rencontre des gens qui savent plus de choses que soi, on lit. Et dans mon cas, grâce à mes articles sur le vin, j’ai visité beaucoup de régions vinicoles dans le monde. Je conmence avec certains, et puis je demande autour de moi « Qui pensez-vous être le meilleur dans le coin ? » et ils disent « Tu devrais aller au bout de la route, et rencontrer Pierre, dans le domaine en face… ». Mais c’est l’apprentissage d’une vie. C’est lorsque je crois savoir beaucoup de choses que j’en découvre de nouvelles.
* «Bacchus and Me: Adventures in the wine cellar», 2000, inédit en France.
«A Hedonist in the Cellar: Adventures in Wine», 2006, inédit en France.
Le point Seuil vientde publier «Toute ma vie», un roman de1988 quasiment inédit en France, ainsi que le dernier recueil de nouvelles de I’auteur (2009), «Moi Tout Craché».
Entretien_Sonie Desprez