Grand Seigneur, le magazine à lire aussi à table, revient en kiosques dans quelques jours. En attendant, voici le premier amuse-gueule du prochain numéro : notre édito sur la nouvelle crise de foi des « alimentations particulières »…
On connaissait les peines à jouir, les « penne » pas toujours « al dente » ou la double peine de certains restos au moment de l’addition… Mais voici que nous sommes cernés par un nouveau genre de convives assommants : les pénibles à table. Qui n’a pas dû un jour, déjeuner avec l’un de ces néo martyrs de l’assiette, crucifiés du goût ou bromurés du palais, toujours persuadés d’accéder à la vie éternelle à condition de transformer les repas en supplice de bagnard ? Le plus drôle, c’est qu’en général c’est toujours eux qui insistent pour vous inviter. Un peu comme s’ils avaient un truc énorme à confesser : « oui, ils vont beaucoup mieux depuis qu’ils ont arrêté le pain, le vin, les fromages, la viande, le gras, le sucre et les cafés ». Et à les voir sadiser la serveuse sur la présence ou non de glutamates dans leurs pâtes sans pâtes (ou relire le menu trois fois comme si c’était un formulaire de l’Urssaf), il est tout de même permis d’en douter.
Souffrances imaginaires
Le phénomène a pris une telle ampleur que pour les fêtes de fin d’année, certaines familles se livrent désormais à des agapes express de volailles si dégraissées qu’on a l’impression de manger du bois, et de micro pains si bio qu’on pourrait assommer son voisin avec. Même dans les régions viticoles ou d’une tradition culinaire chargée, il n’est pas rare de trinquer au lait de soja avec un bout d’Emmental belge sans lactose… En fait, tout se passe comme si la pénitence culinaire était devenu une nouvelle forme d’expiation sociale, voire de religion. Il faut trouver dans la nourriture sous contrôle et de préférence vidée de toutes saveurs, l’auto médication à ses souffrances imaginaires. Vous êtes dépressif ? Arrêtez le lait ! Vous pétez au lit ? Arrêtez le beurre ! Vous avez le nez qui coule ? Arrêtez la côte de bœuf… Et si vous en doutiez encore, vous trouverez surement un « charlatopathe » dans votre quartier.
Quelque chose à dire
Les 19 et 20 Janvier prochain, se tiendra à Paris le premier sommet scientifique consacré à cette folie des « alimentations particulières ». Des chercheurs du monde entier viendront y débattre de ces « tabous électifs » et « régimes sélectifs » qu’on s’impose à table. Officiellement pour sa santé, bien souvent pour trouver quelque chose à dire. Avec la mondialisation des goûts, les vraies allergies alimentaires se multiplient, personne ne peut en douter. Mais s’il est une intolérance qu’il nous faut cultiver plus que les autres – et même soigner comme une pâte à choux – c’est bien l’allergie aux privations mystiques et autres thérapies sans sel. Autrement dit, à la connerie. Bon appétit.
Colloque de L’Ocha « Les alimentations particulières », sous la direction de Claude Fischler, les 19 et 20 Janvier 2012. Plus d’infos sur www.lemangeur-ocha.com
Olivier Malnuit